La critique unanime de la fin du XIX siècle assume qu’il n’est pas un peintre. Le public rit de ses tableaux. Son ami Zola finit pour associer son image à celui du “génie raté”. Et, pourtant, ses oeuvres nous proposent toujours un nouveau regard sur la valeur et la signification de peindre.
Cézanne constitue une rupture dans l’histoire de la peinture occidentale. Son travail est le resultat d’une recherche à laquelle le peintre a dedié toute sa vie: celle d’exprimmer d’ une façon propre les “sensations de la nature”.
En allongeant l’angle d’une table et en y ajoutant les divers plans étalés d’une assiette, des pommes et d’une étoffe, il a demonté l’espace , bouleversant les règles d’une forme de construction picturale adoptée depuis la Renaissance. Cézanne nous a révélé une nouvelle ordre dans la manière de percevoir les choses. La perspective lineaire est rejetée en faveur d’une valorisation de la surface; la ligne qui fait le contour de l’objet est remplacée par la couleur et le contraste; la géométrie donne place au visible.
L’art abandonne finalement l’imitation naturaliste et les règles du bon goût. Les distorsions de la perspective, les tensions entre les formes, l’integration des plans et la relation entre les couleurs sont l’évidence d’une conquête du regard où la nature est peinte dans la norme de ses apparitions.
“Je ne fait qu’un avec mon tableau”, dit Cézanne. Il cherche à travers les formes qui glissent vers d’autres formes, à travers de l’effet d’une couleur sur l’autre, saisir la présence de la nature et la cristalliser dans cette perception naissante. Peindre traduit ici un processus d’ expression, où le peintre devient conscience de l’ objet qui apparaît dans toute sa fluidité et sa complexité.
La question de considérer si ce processus a été l’ issue d’ une maladresse ou d’ une intention originelle, en fait, n’ a aucun intérêt. Ce qui est important dans l’ oeuvre de cet artiste c’est l’ interrogation qu’ elle pose sur la peinture elle-même. Dans la quête des réponses, Cézanne pénètre dans la structure de l’ apparence, abandonnant la stabilité de l’ espace linéaire. La couleur de ses tableaux cesse de servir simplement l’ objet , entre en relation avec d’ autres parties colorées, formant de nouvelles associations.
Cézanne ainsi rend possible une transformation essentielle de la peinture, ouvrant l’ espace à une conception de peindre qui caractérisera l’ art moderne.